Et si nous parlions des sept recettes du pouvoir en Afrique Noire

10 octobre 2010

Et si nous parlions des sept recettes du pouvoir en Afrique Noire

Après un minutieux examen de la scène politique en Afrique Noire, on arrive à dégager un organigramme simple suivant lequel le pouvoir fonctionne habituellement. Au premier niveau de la chaine, nous avons trois éléments à savoir : servitude, fraude et crime. « Dilapidation ou détournement », « discrimination » et « oisiveté ou obscurantisme » sont trois autres éléments qui constituent son dernier maillon. Enfin, au milieu des deux niveaux précédents, se trouve l’élément-pivot : pérennité.

Le problème majeur de l’Africain réside dans la gestion. Et si cette dernière réussit bien aux Occidentaux, c’est parce qu’ils s’évertuent chaque jour à soigner leurs mentalités. En parlant de soin de mentalités, je fais allusion à la bonne foi, au sens de la vertu et aux valeurs d’intégrité qui sont censés primer au sein d’un gouvernement pendant l’exercice de sa fonction. Le peuple lui a délégué sa souveraineté par l’acte de vote et en retour, attend de lui qu’il l’utilise à bon et scient pour conduire la nation à une meilleure destinée. Par exemple, dans les pays du nord, lorsque les candidats à la présidence de la République présentent leurs plans d’actions aux populations, on a l’impression que ces actions sont déjà entrain d’être vécues car les exposants ne se contentent pas seulement de les énumérer mais ils proposent également des moyens efficaces pour parvenir à leur réalisation. A l’issue de leur élection, les présidents ont alors une volonté débridée pour accomplir leur mission ; ils ont suffisamment de respect et de considération à l’égard de leurs compatriotes pour ne guère se vouer à l’échec. De plus ils sont dotés de loyauté et de grandeur d’âme : ils ne se livrent pas à des bassesses telles que la modification illicite de la constitution ou la quête acharnée d’une nouvelle éligibilité. Au contraire, ils organisent leurs travaux sur la base qu’ils ne disposeront probablement que d’un seul mandat pour produire des résultats. Cependant, en Afrique c’est un autre cas de figure qui est observable. De nos jours, combien d’élus africains se contentent d’exercer leur fonction pendant un mandat? Ils agissent comme si l’accession à un poste politique est synonyme d’une intronisation. Dès lors, la mission première du chef de l’Etat consistera à user de toutes les astuces possibles pour demeurer dans ce fauteuil qui est désormais le sien tant qu’il vivra, et celui de son fils après sa disparition. Or, gérer c’est avant tout faire face à la contrainte du délai. Cette idée démente selon laquelle les gouvernants africains pensent qu’on peut concilier pérennité et gestion dénote encore à quel point les mentalités         africaines sont souffrantes.
Parmi les effets incontestables de la saisie du pouvoir, on peut citer le gaspillage ou la malversation des deniers publics. Le parfait modèle africain doit sa notoriété à la dilapidation  ou au détournement de fonds dont il en est l’auteur. En ceci que dans nos pays, les hauts-fonctionnaires trouvent on ne peut plus normal qu’un de leurs collègues se remplissent les poches avec l’argent du contribuable. Il arrive même qu’ils lui fassent des compliments, lui jettent des fleurs en l’acclamant et l’adulant pour l’ignoble fait d’être accusé de détournement de fonds publics et de leur utilisation à des fins personnelles. Personne ne peut ou ne veut condamner cet acte parce que tous ou presque tous en sont coupables. Le fait que le chef du gouvernement s’est installé à vie dans la prestigieuse demeure que son rang lui a conférée, et qu’il a besoin du soutien massif et inconditionnel de ses collaborateurs pour y être reconduit au terme de chaque élection à venir le contraint à être laxiste vis-à-vis de ceux-ci. Du coup, ils se sentent intouchables et se mettent à faire tout ce qui les passe par la cervelle. C’est une sorte d’alliance dans laquelle chacune des parties tire profit : d’un côté le président est le cerbère du pouvoir, de l’autre, les serviteurs de la République sont exemptés de toute poursuite judiciaire. Dans les cas les plus fréquents, la grande partie de cet argent dérobé dans les ministères ou dans les sociétés publiques sert à alimenter des comptes bancaires privés en Suisse. Une autre partie est investie dans l’immobilier de haut standing. Le reste est conservé dans les domiciles. Très souvent le ministre ou le directeur général invite chez lui ses voisins les plus proches afin qu’ils viennent lui soumettre leurs soucis et ces derniers en sortent avec une mine moins serrée. Quand l’autorité n’exhibe pas lui-même sa fortune déconcertante au public, c’est son fils qui prend la relève dans des boites de nuit où le chalenge qu’il cherche à relever est d’offrir le maximum de bouteilles de champagne à de parfaits inconnus.

La ségrégation est une autre conséquence de l’immortalisation du gouvernement. Lorsqu’on regarde de plus près l’agencement des équipes gouvernementales de nos pays, on s’aperçoit très vite qu’il est ethniquement homogène ; le président veille à ce que ses postes-clés ne reviennent qu’à des personnes de confiance ; ils l’ont pour la plupart fréquenté à un moment donné voire même aidé au cours de leur cursus universitaire et c’est pour lui une modeste façon de les remercier. De plus il faudrait qu’ils puissent s’exprimer dans une même langue quand ils se réuniront pour débattre sur des propositions d’arnaques relatives à un projet en cours de réalisation. Cette discrimination est encore plus explicite lorsqu’on se rend dans un bureau public pour obtenir un service. Ceux qui en bénéficient prioritairement saluent généralement la secrétaire dans un dialecte qui lui est familier. Ils peuvent se mettre à discuter de longues heures dans son bureau sans se soucier de la file d’attente. En outre, lorsqu’il est organisé des concours d’intégration à la fonction publique (ce qui se fait plus souvent à la veille des élections), on remarque en comparant les listes que certains noms d’admis ne figurent pas souvent sur la liste initiale. Aux dernières nouvelles, le ministre se serait excusé d’avoir omis d’inscrire ses fils auprès du superviseur de l’examen et celui-ci aurait simplement substitué leurs noms à ceux de malchanceux lauréats. Par ailleurs, la discrimination émane du fait qu’au sein du gouvernement, il existe des regroupements dont l’appartenance est strictement réservée aux personnalités de choix. Ces derniers parrainent des fonctionnaires ambitieux qui de manière progressive et aux dépens d’un nombre de sacrifices accéderont à leur tour à la grande échelle. Contribuant efficacement à ce que le gouvernement en place dure le plus longtemps possible, ces fervents adhérents jouissent des faveurs particulières de Sa Majesté.

Je ne peux clore mon exposé sur les contrecoups de la pérennisation de nos élus au pouvoir sans parler de leur obscurantisme et de leur oisiveté. Autrefois nous nous battions de toutes nos forces pour être affranchis de l’emprise européenne qui pesait déjà tant sur nous. Nous avons dû fournir des efforts inhumains pour nous instruire et devenir enfin indépendants, responsables et dignes de toutes les qualités que nous disions ne pas observer chez nos maitres. Aujourd’hui, il est aberrant de constater que de hauts cadres reçoivent d’importantes sommes d’argent des Fonds Monétaires Internationaux pour la construction d’infrastructures de communication et qu’au bout du compte le projet de développement ne soit pas viable. On assiste plutôt à des déboires tels que la dégradation de l’ouvrage routier juste quelques mois après son aménagement, la réalisation d’une seule voie parmi les deux que comportait à la base le projet de route ou pire encore la suspension du chantier alors qu’il n’est qu’à mi-finition. Par ailleurs, la grande majorité des villes du sud constituent le portrait couleur de l’indolence de leurs bâtisseurs. En comparant à vue d’œil leur état actuel à leur état des années 80, il ressort qu’elles n’ont presque pas connu de mutations. On se pose alors la question de savoir quel est le bilan des réalisations accomplies par le gouvernement, en place depuis une trentaine d’années. De plus, nombre de fonctionnaires sont réputés pour être des déserteurs de service. Ils arrivent le matin à dix heures et prennent aussitôt leur pause à midi. Certains passent parfois toute l’année à la maison ou dans une occupation autre que celle pour laquelle la paye est déjà garantie. Dans la plupart des administrations publiques, la moindre prestation s’obtient en contrepartie d’une liasse de billets. Par exemple, quand vous désirez légaliser une copie de votre acte de naissance ou établir votre pièce d’identité, le maire n’acceptera d’y laisser son encre que s’il reçoit de son subalterne la confirmation que vous avez gracieusement mis votre main dans votre poche.

Pour davantage expliquer le principe de régulation du pouvoir sur le continent noir, il est nécessaire de présenter les moyens qui procurent à nos gouvernements leur immuabilité. Précédemment, j’ai mentionné à quelle enseigne les Africains ont dû consacrer des efforts pour s’émanciper et devenir, comme ils le désiraient tant, des souverains sur leur propre territoire. Comment pouvons-nous expliquer que la plupart de nos dirigeants actuels se prêtent encore au jeu de la servitude? Tout se passe comme si, après une fructueuse journée de labeur, le pêcheur décidait soudainement de remettre en mer une partie de sa pêche. N’est-ce pas là une preuve irréfutable que l’indépendance à laquelle nous avions triomphalement accédé n’était rien d’autre qu’une mascarade? Dans ces propos, je ne suis pas entrain de sous-entendre que le sang versé par nos leadeurs nationalistes lors du mouvement de libération a été vain; je cherche plutôt, au moyen d’une lanterne, à éclairer les consciences noires sur le fait qu’avoir une mainmise sur les affaires de l’Afrique a toujours constitué l’apanage des Occidentaux. L’argument qu’ils ont souvent avancé pouvait paraitre juste à l’ère de la colonisation, mais aujourd’hui il est hors-contexte car l’Afrique arrive désormais à voler de ses propres ailes. Ce qui est déplorable est que ses leaders préfèrent se faire piloter par les dirigeants des puissances mondiales. On pourrait penser qu’ils y sont contraints, faute de notre dépendance économique et financière vis-à-vis de l’Occident. Cependant, il n’en est rien. La seule explication qui tienne est que nos chefs d’Etats ont tellement de choses à se reprocher qu’ils n’ont pas d’autre option que de voiler les faces des gouvernants du nord en les laissant opérer leurs manœuvres sur le continent. De cette façon, personne n’aura de comptes à rendre à l’autre. Chacun des deux n’aura qu’à se mêler de ses affaires : pendant que le premier sera occupé à modifier la constitution de son pays pour servir ses intérêts personnels, le second s’attèlera à exploiter les minerais de son choix. Et les deux se soutiendront mutuellement dans chacune de leurs fallacieuses entreprises.
De toutes les armes dont se servent nos gouvernants pour conserver leurs postes, la fraude est de loin la plus efficace. Pour être dirigeant dans la société africaine actuelle, il faut être élu au trucage universel. A l’issue de ce dernier, les perdants seront les candidats dont le parti ne se sera pas assez mobilisé pour pratiquer ce que j’appelle la chasse déloyale des électeurs. Cette pratique, quoique décriée par les fauves rivales, est pour ses parrains une véritable aubaine. Elle a très souvent lieu dans les quartiers peu développés ou dans les campagnes. L’activité principale qui y est menée consiste à échanger les promesses de vote respectives d’un chômeur ou d’un villageois contre un billet vert ou une certaine quantité de riz. S’il faillait répartir les torts dans cette affaire, le chômeur et le villageois ne seraient guère à plaindre car leur seul tort a été d’être dans le besoin ; d’une façon ou d’une autre, cet argent allait être dépensé ; n’est-ce donc pas pour ces braves citoyens une manière de contribuer à rendre cette dépense plus utile ? Quant aux promoteurs, ils endossent un plus grand tort, celui de dilapider l’argent des caisses de l’Etat et de duper les foules devant lesquelles ils ont prononcé des allocutions pompeuses. Le pouvoir est de ce fait une terrible drogue en Afrique. La difficulté réside en général dans l’élection ou la nomination d’un tiers à un poste public. Une fois que cela est acquis, le reste de la tâche devient facile. L’un comme l’autre usera de moyens perfides pour conserver coûte que coûte sa place autour de la grande table où a lieu le partage du gâteau présidé par le commandeur en chef lui-même. C’est ainsi que de redoutables fléaux ont vu le jour et se sont propagés à grande échelle sur le continent. On peut citer, entre autres, la corruption sans laquelle nos services publics n’arrivent plus à fonctionner. Du vigile jusqu’à l’officier civil, ses marques sont repérables. Les prestataires ne parvenant plus à dissimuler leurs intentions, ils présentent désormais à qui veut leurs services la gamme des prix qu’ils ont eux-mêmes pris soin d’apprêter. Le client n’est-il pas tenu de payer avant d’être servi ?

Pour clore cette série qui a pour objet d’inventorier les principales aptitudes favorisant l’éternisation de nos élus au pouvoir, j’aborde un point dont j’appréhende d’être la victime. Je veux évoquer ici la cruauté à laquelle nos dirigeants n’hésitent pas à faire recours quand ils pressentent chez un tiers le moindre signe de menace, de préjudice. En effet, mon stylo ne me permettra jamais assez de dénombrer toutes les plumes qui ont été brisées parce qu’elles représentaient valablement les sans voix. Aussi, je me dois de marquer une pause pour rendre hommage à ces grands hommes qui se sont fermement engagés au combat pour la liberté et dont nous ne cesserons jamais d’être fiers. Ce combat nous est d’abord destiné avant de l’être pour les générations futures. C’est une bataille digne de ce nom car elle mène, un peu plus loin, vers le bout de son interminable trajectoire parsemée d’écueils, à un sentiment de libération, de bonheur, aussi fugace puisse-t-il être. Il faut être doté de qualités comme l’intrépidité, la retenue de soi et la patience pour y parvenir. Outre le corps médiatique, ces prédateurs s’en prennent également aux espèces dont ils soupçonnent la plus petite intention de soulèvement. Tel est le cas dans plusieurs régions des confins de l’Afrique Noire où des centaines de corps sont souvent découverts, gisants à même le sol. Ces dépouilles sont celles de peuples qui auraient été décimés pour le fait qu’ils refusaient de se plier au mode de fonctionnement du gouvernement. D’ailleurs, c’est parce que leurs valeureux représentants ont dû entreprendre des manifestations visant à boycotter les institutions que la colère du tout-puissant s’est abattue sur eux. Parmi les crimes orchestrés par les membres du gouvernement, il n’y a pas que des assassinats ou des exterminations, qui sont des crimes contre la société, il y a aussi des crimes contre l’économie et la politique. Premièrement, par crime contre l’économie, je désigne toute action ou indifférence des dirigeants qui a des répercussions considérables sur la santé financière de l’Etat. Par exemple, on a le coût exorbitant des déplacements aussi bien officieux qu’officiels des autorités. Ensuite, j’entends par crime contre la politique toute action des gouvernants qui va à l’encontre des principes de la démocratie. A cet effet, on note la condamnation des opposants politiques à l’exil.

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